LE REGRET
Depuis deux heures, Mansa est à l’entrée de la salle d’attente de l’hôpital préfectoral de Mandiana. Il a peur de se présenter au médecin-chef ; en effet son épouse, évacuée en catastrophe à partir du Centre de Santé de Oudiala était entre les mains des hommes en blouse blanche, et tout portait à croire q’une Césarienne était craindre.
Notre homme se rappelait des propos du médecin-chef lors du dernier geste de sa femme. Ce dernier en lui tendant le bulletin de sa femme lui avait notamment déclaré : « votre femme est à son septième geste ; il est temps qu’elle cesse de procréer au risque de connaître des complications qui pourraient lui être fatales en cas de nouvelles grossesses ».
Mansa avait signifié au médecin qu’il avait compris. Mais arrivé à la maison, il se repentit en propos désobligeants à l’encontre de la médecine moderne, traitant les médecins d’impies. Pour lui, fidèle disciple de Ibrahima KANE, célèbre marabout intégriste, la procréation était un acte divin. Personne sur cette terre n’avait le droit de s’y opposer ; aussi tant que sa femme aurait la force de se tenir sur les deux pieds, elle devait avoir des enfants. Curieusement cette conception religieuse était confortée par la tradition. Sa vieille mère Kanimba n’avait d’autres souhaits que celui d’avoir des petits enfants ; car disait-elle : « Le Très-Haut ne saurait créer une bouche et la priver de nourritures ».
C’est au sortir du bloc que sa nièce Assa, une infirmière vint lui annoncer que sa femme avait subi une césarienne et que la mère et l’enfant se portaient bien. D’un pas hésitant Mansa fit son entrée dans la salle d’attente ; prêt à battre en retraite dés l’apparition du médecin- chef ; finalement le désir devoir sa femme et le nouveau-né l’emporta. Il se dirigea alors vers la cabine de réanimation ou,il trouva sa Méré qui tenait déjà dans ses bras un bébé braillard, tandis que sa femme sous l’effet de l’anesthésie gisait inerte et ne revenait à la vie qu’au rythme des spasmes qui la sécouaient par intermittence. C’est à ce moment que contre toute attente, le médecin-chef tant craint fit irruption dans la cabine. Mansa baissa aussitôt la tête ; peine perdue, il était déjà reconnu .Mais l’heure était critique et les faits n’avaient pas besoin d’être commentés.Si fanatique qu’il soit Mansa se sentait coupable.
Après avoir examiné le pouls de la patiente, le médecin-chef sortit en ordonnant à Assa l’infirmière de veiller sur la malade.Mansa se voyant libéré à si bon compte, donna libre cours à sa douleur et se repandit en sanglots.Sa vieille mère le calma en ces termes : «Mansa ne pleures pas.Nous sommes tous deux coupables ; C’est moi qui t’ai encouragé à ne pas respecter les instructions du médecin. Si ta femme s’en remettait, je me contenterais des huit (8) enfants ; mais comme le dit bien un vieil adage maninka ; la bande de tissu que l’on enlève de la longueur du grand boubou, c’est cette même bande que l’on recoud sur la largeur. Si ta femme doit cesser de procréer tu es contraint d’épouser une seconde car la vie est une création continue ; vivre c’est être créateur ».
A l’issu d’un séjour de trois (3) semaines à l’hopital, la femme de Mansa regagna le foyer conjugal et après un congé médical de trois mois, elle put reprendre ses activités. Appliquant à la lettre les instructions de sa mère Mansa fit part à son oncle, son désir d’épouser une seconde femme avec comme argument qu’il voulait mettre en valeur un nouveau champ situé loin du village ; ce qui nécessitait un long séjour ; la vieille mère resterait ainsi avec la première pendant que lui et la seconde femme iraient s’installer durant la période hivernale près du champ.
L’oncle, face à une telle argumentation ne put que donner son accord et Mansa n’eut aucune peine à avoir une deuxième femme.Celle-ei ne tarda pas à donner naissance à un garçon à la satisfaction de sa mère.Mais comme s’il avait été lâché par Dieu : tout commença à se gacher chez Mansa.
Le champ labouré tardivement ne donna rien, même ses ruches installées entre les branches de certains arbres aux alentours furent boudées par les abeilles. Pour parer au plus pressé, Mansa et sa nouvelle femme quittèrent le hameau et vinrent s’ajouter aux autres membres de la famille restés au village.
Chaque matin, il fallait que la vieille mère batte tout le village afin de trouver quelques grains et parfois en des jours heureux quelques denrées pour ses petits enfants car Mansa était parti tenter sa chance dans les mines d’or de Kantoumanina, une localité situé à quinze (15) kilomètres de Oudiala. Les deux épouses étaient devenues squelettiques à force de piler des grains se mais pour le compte des voisines qui leur donnaient en contre partie du son qu’elles étuvaient pour en faire des repas. Ce misérable régime avait fini par anémier tous les enfants ; fautes de moyens financiers la vieille mère et ses deux (2) brus se contentaient pour les soins, des plantes dont elles cueillaient les feuilles en brousse. Malgré tous ces efforts parmi les neufs (9) enfants, deux moururent par suite de malnutrition. Il fallut le secours de Abou, un ami d’enfance de Mansa pour éviter à la famille la mendicité. Ce dernier, ayant appris la déchéance de son ami, fit embarquer dans un camion dix (10) sacs de mais que lui-même convoya jusqu’à Oudiala. La vieille Kanimba en recevant ces vivres ne put retenir ses larmes quand elle remerciait Abou : « mon fils, lui dit--elle .Je comprends maintenant pourquoi tu n’as pas voulu suivre mes conseils en matière de mariage.Tu m’as toujours fait savoir que la gestion d’une famille étant une tache délicate, tu n’aurais qu’une seule femme et que tu te contenterais seulement que de deux (2)à trois(3)enfants.Ton ami Mansa est aujourd’hui marié à deux femmes et père de neufs(9)enfants dont deux (2)rappelés par Dieu. Au lieu du bonheur tant espéré, c’est la misère qu’il est contraint de gérer ».En effet Abou et Mansa avaient grandi ensemble, et sous le toit du père de Mansa ; la mère et le père d’Abou étant morts très tôt. C’est ainsi que l’enfant s’attacha à la famille de son ami.
Mais dès sa sortie du camp des circoncis il préféra aller à l’aventure pour finalement trouver prospérité à Morodou grâce à la culture du mais et à l’exploitation des arbres fruitiers notamment des manguiers et des orangers. Cependant mêmes forts de ses revenus appréciables, Abou n’épousa qu’une seule femme et n’avait que trois (3) enfants ; deux garçons et une fille. Ayant fréquenté le centre d’alphabétisation de Morodou, il s’était familiarisé avec l’agent de L’AGBF qui y passait souvent pour des séances de sensibilisation. Ainsi à l’insu de son voisin Moriké muezzin de son état, il donnait des pilules à sa femme et en homme avisé il avait préparé l’avenir de ses enfants en les envoyant à l’école du village.
Grâce à cette bouffée d’oxygène apportée à la famille par Abou, la vieille mère de Mansa put bénéficier d’un répit qu’elle mit à profit pour se rendre à Kantoumanina à la recherche de son fils. Ce dernier qui venait d’échapper de justesse à un éboulement de puits, accident si fréquent dans les mines d’or, accepta facilement de retourner au village.
Deux jours après son arrivée, il résolut d’aller à Morodou pour remercier son ami du soutien qu’il avait accordé à sa famille au cours de son absence.
Il fut accueilli avec joie par Abou et sa femme qui lui conseillèrent de rester durant une semaine, le temps de prendre un peu de repos. Et tout le long de son séjour, Mansa ne cessait d’admirer le sens de réalisme de son ami tout en se demandant pourquoi il s’était embarqué dans cette galère de polygamie et comment s’en sortir ?
Auteur : Diakaria Diakite, écrit en 2009